Lors de l'inauguration de ce blog, j'ai eu à me poser la question fondamentale à savoir s'il serait écrit en français ou en anglais. Par soucis d'universalité, puisque l'anglais est en quelque sorte le latin des temps modernes qui permet de transcender les cultures, le choix qui s'est rapidement imposé fut la langue de Shakespeare.
Quelques francophones m'ont questionnés à ce sujet dans le passé. N'était-ce pas là un geste d'acculturation, d'autant plus étrange dans le contexte québécois? Peut-être, peut-être pas? Hier, à la radio, une jeune compositrice-interprète québécoise expliquait qu'elle souhaiterait écrire des chansons en français, mais que pour le moment, l'inspiration lui venait plus facile en anglais. Cela m'a refait penser à ma propre situation.
En effet, la technologie ferroviaire est arrivée au Québec par le truchement des Britanniques et des Américains, bien après le passage de la France. Ainsi, la plupart du vocabulaire ferroviaire a été transmis en anglais, déformé en français ou tout simplement traduit localement, indépendamment des termes utilisés dans l'ancienne mère-patrie.
En ce sens, il est donc difficile de décrire la réalité ferroviaire québécoise dans un langue française pure et qui est agréable à lire. De plus, le recours à des termes français exacts n'aurait pas toujours de résonance concrète aux oreilles du lectorat local.
J'ai souvenir enfant que nous utilisions de manière interchangeable divers mots français et anglais. La "track" était souvent préférée à "voie ferrée", mais en revanche, plusieurs mots français étaient courant. Le contact avec les railfans et les cheminots m'ont fait adopter, à mon insu, le vocabulaire anglais, beaucoup plus utilisé par les gens près du chemin de fer que par les néophytes. Ainsi, je n'utilise presque plus "wagon de queue", me contentant de "caboose", je ne parlerai même pas de "van", canadianisme qui semble être une particularité de nos concitoyens anglophones. De même, les expressions "charrue" ou encore "gratte" (dans le sens canadien de "chasse-neige") ont été remplacées par "plow" ou "snowplow". Pourtant, il serait facile de rédiger un texte en français.
Là où le bât blesse, c'est lorsqu'on plonge directement dans le vocabulaire propre au modélisme ferroviaire. On entre dans un univers assez étrange. En effet, tout québécois qui tentera de lire un livre spécialisé français risque d'avoir un choc culturel difficile à surmonter, il en va de même dans l'autre sens. Les réalités géographiques et matérielles des deux continents sont fort différentes. Rien que dans le département du matériel de bricolage, on s'y perd. Qui saura ce qu'est du "Depron" ou du "plume"? Parlez de carton à un Français, il imaginera une boîte pour déménager, pour le Québécois, ce sera naturellement la matière première et jamais il ne songera à une boîte. Même chose pour le sens de "maquette". En France, une maquette est un terme qui peut prendre un sens signifiant à peu près n'importe quoi qui est reproduit à l'échelle. Au Québec, une maquette signifie habituellement quelque chose de plus complexe qui est de la taille d'un réseau, d'un diorama ou encore d'un bâtiment, au sens architecture. Pourtant, pour un français, une maquette peut effectivement décrire une réalité comme une figurine en résine. Ainsi, pour décrire une figurine de Batman à monter soi-même, on dira une "maquette en résine". Ici, cela tomberait sous le porte-manteau du "modèle réduit en résine". Mais ce phénomène n'est pas propre à la francophonie, il est universel entre les locuteurs d'une même langue qui vivent dans des conditions différentes. Il en est de même entre les États-Unis et l'Angleterre. Quiconque fait le pas entre les deux doit s'attendre à réapprendre la moitié du vocabulaire et à sauter des unités de mesure métriques aux mesures impériales. Heureusement pour nos canadiens, aucun des deux systèmes n'a réussi à supplanter l'autre et nous sommes, pour ainsi dire, bilingues en unités de mesures, maîtrisant l'une et l'autre et n'hésitant pas à les utiliser de façon simultanée.
Mais pire encore, c'est lorsqu'on tombe dans des termes intraduisibles tels que "scratchbuilding" ou "kitbashing"! De nombreux Français ont tenté sans succès de traduire ces mots. Chaque fois, c'est un fiasco. Pourtant, le concept est simple: "construction à partir de zéro" pour le premier, et "combiner des modèles" pour obtenir quelque chose de différent de l'usage souhaité par le fabricant. Bien entendu, ce sont des concepts simples basés sur une différenciation des matériaux de base utilisés: soit on part de matériaux bruts, soit on utilise des matériaux commerciaux, préférablement des kits. Pourtant, ça ne passe pas en Français. Je veux dire par là qu'il est impossible de résumer ces concepts à un seul mot unique, comme en Anglais.
Un autre mot qui perd des plumes, c'est "weathering". Il s'agit de l'action du temps et des éléments sur un objet, sa dégradation et son défraîchissement inévitable. En français, nous avons le merveilleux terme de "patine" qui explique la même chose. Pourtant, dans l'esprit des gens, le mot patine a une connotation positive, nostalgique. On parlera de la belle patine verte du cuivre, du grisonnement du vieux bois. Bref, des évocations plutôt sympathique. Pourtant, cela manque le côté brutal du terme anglais, qui ne cherche pas à embellir mais simplement décrire. Étonnant comment deux termes pourtant identiques et équivalents ne passent pas la même charge émotive.
Finalement, un autre point est le lectorat. La plupart des gens de France qui lisent ce blog ont une affinité certaine avec le modélisme ferroviaire nord-américain, ces termes spécifiques et une maîtrise suffisante de l'anglais. Quant aux Américains et Canadiens anglais, ils forment une grande partie des lecteurs, il est donc normal de s'adresser à eux. Et puis, vous seriez surpris, mais de nombreux lecteurs sont originaires d'endroits aussi différents que la Chine, la Roumaine, l'Allemagne, l'Afrique du Sud et la Russie. Nous avons tous en commun un moyen de communication qui nous permet de transcender nos cultures et il s'agit de l'anglais actuel, celui du web, cet anglais décomplexé et dépolitisé que j'ai comparé plus tôt au latin du Moyen-Âge, ou encore au Grec de l'Antiquité.
Pour toutes ces raisons, ce blog est rédigé en français. Cela est aussi une excellente occasion de pratiquer l'usage d'un langage que je n'utilise virtuellement pas dans mon quotidien.
Néanmoins, j'avoue être le premier à déplorer que l'histoire ferroviaire du Québec est trop souvent écrite par les Canadiens anglais? Est-ce un reproche? Non, en fait, il est fascinant de ce dire que cette histoire, qui nous semble limitée, soit pourtant perçue par plusieurs de nos compatriotes comme d'une importance nationales. Cela n'est pas non plus une question d'ignorance. J'ai eu l'occasion de rencontrer de nombreux francophones qui sont de véritables encyclopédies sur pattes. Malheureusement, il semble que la notion de mettre à l'écrit et de compiler les connaissances ne soit pas très valorisées dans notre culture. Des centaines d'excellents livres potentiels disparaissent chaque année à la mort de ces mémoires vivantes. De plus, le fait de lire sa propre histoire à travers l’œil d'un anglophone ne nous présente que la moitié de l'histoire. Souvent celles des promoteurs de ces lignes et de politiciens influents, mais rarement du point de vue des gouvernements locaux, des constructeurs et de l'impact réel dans l'évolution du territoire local. Pourtant, c'est là l'aspect le plus concret de l'histoire ferroviaire, celui qui permet d'en tirer des leçons. Dans le meilleur des mondes, l'histoire des chemins de fer au Québec devrait nécessairement être écrite par des concitoyens des deux langues afin d'avoir un portrait global qui va de l'intérêt local jusqu'aux visées internationales de ces entreprises tentaculaires.
Sur ce, je remercie tous les lecteurs francophones de ce blog et je prend la peine de dire que je ne les ai pas oublié. D'ailleurs, ils remarqueront que depuis quelques semaines, j'ai cessé de traduire les noms d'entreprises ou de localités français lorsque je décris le réseau.
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